Nous sommes en 1982 et une guerre civile fait rage au Liban. Les camps opposés, druzes, phalangistes, chiites, palestiniens, sont dans un manège de violence. Le décor idéal pour une tragédie, c’est ce que pense le metteur en scène de théâtre Sam Akounis. Son idée est aussi idéaliste que naïve : une représentation d’Antigone à Beyrouth, des acteurs de tous les partis belligérants sont représentés sur scène et le théâtre doit, absolument, être criblé de balles. Comme Akounis est en phase terminale, il confie la tâche de mettre le plan à exécution à son ami, George. C'est volontiers, presque avec soulagement, qu'il laisse derrière lui sa femme et son enfant pour poursuivre son rêve de vaincre la guerre par l'art. Pour tenter de réunir les acteurs pour une première répétition, il risque sa vie, avale le passeport palestinien et, ce faisant, toute la Palestine, s'assoit sur un tapis de prière chiite avec un trou dans sa chaussette et expérimente qu'il doit lui aussi être poussé à dire la phrase « Je ne déteste pas les gens ». Il garde la bouche ouverte lorsque les grenades tombent, sinon ses tympans éclatent. Dans sa propre vie, il semble se mettre en scène comme une Antigone qui nie la vie – même si dans la pièce il a confié ce rôle à la Palestinienne Imane. Doté de tout ce dont un héros tragique a besoin – une mère morte prématurément, un père peu accueillant, une attitude radicale – il exagère tellement son rôle qu’à travers ses yeux on a le sentiment de ne voir le monde qu’en deux dimensions.

David Oelhoffen réalise une adaptation très réussie du roman de Sorj Chalandon, lauréat du Prix Goncourt des Lycéens à la rentrée littéraire 2013. Le personnage principal du Quatrième Mur est Georges. Dans les années 1970, il participe à la résistance étudiante militante à Paris en tant que militant de gauche. Durant cette période, il rencontre Samuel Akounis, un juif grec emprisonné sous le régime des colonels. Leur amitié se développe et Sam révèle qu'il a conçu un plan pour mettre en scène la pièce Antigone à Beyrouth. Il a choisi la performance de Jean Anouilh car cette version a été créée en 1944, pendant l'occupation allemande. Laurent Lafitte y est impressionnant, avec son amour du théâtre et son engagement infaillible. Le quatrième mur est un concept issu du monde du théâtre qui indique la séparation entre le public et les acteurs. Cela suggère une sorte de distance que le film possède également au départ. Mais à mesure que la bobine progresse, vous ne parvenez pas à maintenir cette distance. L'auteur vous entraîne complètement dans son histoire. Le cinéaste évoque les tentatives de réconciliation entreprises par chacun, bien que la résolution semble improbable en raison de la nature profonde et complexe du différend.  Évidemment, rien n’est optimiste ici. Et la désolation montrée rend compte de la violence. Même si des moments de grâce montrent la beauté des ruines ou une aube saisissante de beauté sur la ville. L’extrême violence est abordée avec nuance (flou et une vibration sonore) lorsque Georges découvre le massacre dont l’histoire retiendra le nom, Sabra et Chatila. Georges bascule à ce moment-là, la suite s’enchaînera violente et irrémédiable, comme l’héroïne de sa pièce Antigone.