À la fin du XIXème siècle, les US sont toujours désunis et la nation reste percluse des rancœurs dues aux cicatrices laissées par la guerre de Sécessions dont la fin des hostilités est encore relativement récente. Dans cet état de paix précaire, les américains "d’importations" en ont terminé de s’entretuer et les autochtones incorrectement appelés "indiens" ont été massacrés ou alors parqués dans d’inconfortables réserves pour y croupir dans des conditions peu enviables. Jeune lieutenant chez les tuniques bleues, comme les ont appelés les natifs, Norman Pyle est convoqué par son haut commandement pour une mission très particulière. Alors que la perspective d’enfin se voir confier des responsabilités avec un semblant d’épaisseur lui semblait prometteuse, notre soldat se trouve surpris par la nature de sa tâche. Il lui faudra retrouver son propre frère, un artiste dans l’âme qui par la force des choses est devenu héros de guerre, qui a renié sa famille et ses amis, coupables d’avoir brisé ses rêves, et son pays dont il conteste nombre des agissements. L’homme vit comme un renégat en compagnie d’un dangereux mélange de tribus Apaches et Navajos. A leur tête il commettrait des atrocités contre ce qu’il considère comme les vrais envahisseurs, coupables des pires crimes contre la nation "indienne".

Norman se met donc en quête de ce frère qu’il pensait déjà avoir perdu à tout jamais, dans une surprenante adaptation en western du roman "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad. Plus qu’une mission, il s'agit d'un voyage introspectif dans ses souvenirs les plus intimes alors que Norman traverse les grands espaces de la gigantesque nation. Accompagné d’une poignée de soldats buffalo, il va escorter, à titre de couverture, tantôt une caravane de colons, tantôt un gigantesque troupeau de moutons, dans des contrées parfois jalousement gardées par leurs propriétaires qui en ont souvent fait de gigantesques élevages bovins, détruisant la faune et la flore locale. Une plongée brutale dans la cruelle réalité du monde des hommes… Comme nous l’explique J-F Charles, il espérait depuis longtemps pouvoir réaliser un ouvrage graphique consacré au far-west. Voilà chose faite ! En compagnie de son épouse Maryse il nous offre cette œuvre dense en émotions qu’il enlumine d’une mise en couleur à l’aquarelle à même ses planches. On peut extraire de l'histoire de multiples thèmes : l'homme contre la nature, la folie contre la raison, le bien contre le mal, les questions de race, d'identité, la soif de pouvoir, le langage contre l'échec du langage. Dans son roman, Conrad condamne très explicitement le colonialisme, ou du moins celui perpétré par la Belgique sur l'État indépendant du Congo, ici ce sont les Etats-Unis qui font office d'agresseur sur les Indiens. Au final, le lieu où se déroule la majeure partie de l'action peut être une métaphore d'autres lieux, voire de tous les lieux. Le Cœur du désert est -il vraiment un lieu géographique, ou un lieu émotionnel ?