L'artiste d'Amsterdam, connu auparavant principalement comme peintre, a lui aussi un lien étroit avec le Japon : versé dans les arts martiaux japonais et le bouddhisme zen, il a vécu quelque temps à Kyoto. Cette relation est au centre de ses débuts en bande dessinée (l'ouvrage date de 2017). Dans un mélange d’autobiographie, d’histoire culturelle et de philosophie, Meeuwsen parle du Japon, du Zen et de la vie. Les philosophies et modes de vie d’Extrême-Orient sont en plein essor ; ici, dans un monde où règne le principe du plus haut-plus vite-plus loin. L’attitude du « tout en Bouddha » semble souvent être une nouvelle mode, mais les hippies et les marginaux de la génération 1968 avaient déjà un penchant pour le non-occidental. Et cela remonte même plus loin : à l’époque des Lumières et de la colonisation, quand les gens voulaient adapter l’autre étrange aux normes occidentales, mais en même temps les cercles artistiques et intellectuels développaient une fascination pour les cultures exotiques et orientales. C’est donc avec un certain malaise que l’on peut aborder le battage médiatique exotisant, qui veut toujours faire le bien et crée toujours le mal. Zen sans maître de Meeuwsen a également suscité au début quelques réserves – après tout, il semblait s’inscrire parfaitement dans la tendance. En fait, cette œuvre est extrêmement réussie tant au niveau du contenu que de la réalisation artistique.

Le roman graphique entremêle des volets narratifs autobiographiques, culturels-historiques et philosophiques. Une chronologie est décomposée ; on saute ici et là : des belles anecdotes de la vie de Frenk aux réflexions sur les visions du monde ; des situations humoristiques du choc culturel d'un grand Hollandais blanc dans un petit Japon soigné au mythe du prince Siddhartha Gautama, le Bouddha qui a créé le premier koan . Ce récit en petits extraits et bribes reflète un aspect essentiel du bouddhisme zen : la structuration en koans, de courtes anecdotes qui contiennent une sagesse cachée. Les allers-retours constants, les sauts en avant et en arrière, créent une dynamique passionnante – pas vraiment évidente face à un sujet qui semble au premier abord ennuyeux, comme l’histoire du Zen. Meeuwsen réussit à partager avec ses lecteurs sa fascination pour la culture japonaise et zen. Malgré le scepticisme initial, nous avons accepté avec de plus en plus de joie, au fil de la lecture, l’offre de médiation de Meeuwsen entre l’Est et l’Ouest. Surtout parce qu'il n'hésite pas à adopter une perspective critique : le soutien de l'armée au bouddhisme zen pendant la Seconde Guerre mondiale ; la commercialisation capitaliste moderne des pratiques culturelles d’Extrême-Orient en Occident – parfois soutenue par les maîtres zen japonais eux-mêmes, avides de profit ; la distance entre un Japon moderne et urbain et l’ancienne tradition à laquelle Frenk, comme tant d’autres Occidentaux, s’accroche. Ce qui est vraiment génial avec Zen sans maître , c’est que toutes ces critiques importantes peuvent être traitées sans laisser aux lecteurs le sentiment déprimant du pessimisme culturel. Au contraire, elle enrichit la fascination véhiculée et crée une image plus complexe et holistique. Les dessins comiques sont dans un style noir et blanc, qui rappelle à la fois les peintures de Meeuwsen et la tradition minimaliste du Zen. La réduction à ce contraste le plus radical de tous permet un jeu subtil mais efficace, que Meeuwsen utilise extrêmement bien et avec soin dans son dessin. Souvent, une poésie visuelle très unique est développée, qui raconte beaucoup de choses qui ne peuvent pas être exprimées avec des mots.